MF Marc Ghannoum a parcouru le monde pour jouer aux échecs et est aujourd’hui médecin. Comme beaucoup de jeunes canadiens, le premier tournoi auquel il a participé était organisé par Échecs et Maths. Il nous offre ici quelques commentaires éclairés sur ce que peut nous enseigner les échecs en termes d’humilité, de détermination et sur la capacité d’analyse objective.


Article composé par Victoria Jung-Doknjas / Traduit par Maria Manuri


GM Kasparov contre MF Ghannoum jouant un blitz:  https://www.youtube.com/watch?v=A-aOcg_068g

En avril 2011, Marc a joué un match de deux parties en blitz contre l’ancien champion du monde Garry Kasparov pour une levée de fonds à Naples, en Floride.

Tête-à-tête avec le maître FIDE Marc Ghannoum

Voici mon entrevue avec MF Marc Ghannoum:

Quel est ton parcours échiquéen et ta connexion à Échecs et Maths?

Marc : J’ai appris à jouer aux échecs quand j’avais environ six ans. Mon oncle était un bon joueur d’échecs à l’époque (cote d’environ 1800) et il m’a montré les rudiments du jeu. Je n’étais pas un mordu mais j’aimais assez ça pour jouer sans trop de sérieux avec mes amis pendant quelques années. En 6e année, mes amis m’ont convaincu de prendre un cours d’échecs. J’ai accepté avec hésitation. Je suis devenu un fan la journée où le professeur nous a montré la partie de Paul Morphy et du Duc de Brunswick, avec le sacrifice de la pièce et de la Dame. Depuis ce moment, ce fut une histoire d’amour qui dura toute une vie. J’ai joué mon premier tournoi très peu de temps après, autour de 1985, et il était organisé par Échecs et Maths. J’ai terminé en troisième position, perdant une partie cruciale contre Philippe Nataf, qui était le joueur à battre à l’époque. J’ai joué régulièrement dans les tournois d’Échecs et Maths jusqu'en 1992. Je me souviens avec bonheur des dimanches matins au Collège Lionel-Groulx (Secondaire) jusqu’aux célèbres championnats nationaux Xios-Gems. J’ai joué avidement dans plusieurs Championnats nationaux depuis.

Participant au Championnat National (Échecs et Maths) en 1991. Il a terminé deuxième.
 

Qu’est-ce qu’Échecs et Maths et la pratique du jeu d’échecs t’ont apporté, quel impact positif cela a-t-il eu dans ta vie?

Marc: Je dois beaucoup à Échecs et Maths. L’AEM a été la première à organiser des compétitions à caractère nationales et elle m’a offert plusieurs bourses pour que je puisse participer à des tournois de haut calibre. Je vois cette période comme le meilleur entrainement vers les tournois pour adultes auxquels j’ai participé par la suite. Il serait difficile aujourd’hui de dissocier les échecs de ma personnalité. Je ne pense pas qu’il y ait eu une seule journée en trente ans où je n’ai pas regardé un site d’échecs ou feuilleter une revue ou un livre sur les échecs. Les impacts sont énormes et trop nombreux à énumérer ici, mais je vais vous en identifier deux très importants.

Premièrement, la pratique du jeu d’échecs nous apprends non seulement à gagner mais surtout à perdre. Le jeu d’échecs peut être brutal et dévastateur à l’occasion. J’ai vu des joueurs extrêmement talentueux comme Pascal Charbonneau et Magnus Carlsen pleurer après une défaite dramatique. Si tu veux progresser ou t’améliorer aux échecs, tu dois perdre (beaucoup!) et apprendre de tes défaites. Beaucoup d’enfants abandonnent les échecs après une amère déception lors d’un tournoi. Je ne peux pas les blâmer car j’ai ressenti la même chose après des défaites similaires. Mais on apprend de ces défaites et ont fini par comprendre que c’est seulement un jeu et que la vie continue. À mon avis, il est plus important d’apprendre à perdre à 12 ans qu’à 25 ans. Parce que les échecs est un jeu dépourvu de chance, il n’y a donc aucun prétexte à la défaite : on ne peut pas mettre les responsabilités de la défaite sur d’autres personnes. Il faut beaucoup d’humilité et de volonté pour progresser aux échecs.

Le deuxième impact dont je voudrais vous parler est la capacité d’analyse objective que la pratique du jeu d’échecs nous apporte.  Les échecs nous oblige à évaluer les positions objectivement. Bien qu’il existe un degré d’intuition et d’imagination, une position ne peut être jugée qu’en étant meilleure, pire ou égale. Il peut y avoir divergences d’opinions lors d’une analyse mais dans la plupart des cas, il est possible de conclure sur qui avait raison. Je crois que c’est un atout inestimable à avoir plus tard dans sa vie.

Est-ce que la pratique du jeu d’échecs et par le fait même ton implication avec Échecs et Maths t’ont ouvert des portes?

Marc: De toute évidence, avoir un background aux échecs m’a ouvert des portes. Même lors de mes entrevues pour aller en médecine, ils ont été impressionnés par mon parcours échiquéen. En tant que médecin, je suis souvent confronté à des situations où je dois décider d’une intervention acceptable pour le patient ainsi que pour moi-même et cela en ne disposant pas de toutes les informations et où une décision doit être prise rapidement. Ce n’est pas différent aux échecs. Les contraintes en temps te force souvent à choisir un coup et à tirer le meilleur de cette situation malgré les incertitudes.  Je n’exagère pas lorsque j’attribue beaucoup de mes succès dans mon domaine aux efforts déployés par l’AEM et Larry Bevand. 

Il gagne, en 1990, le Championnat provincial du Québec organisé par Échecs et Maths.

Quels sont tes accomplissements échiquéens dont tu es le plus fier?

Marc: J’ai eu plusieurs succès et déceptions au cours de ma carrière échiquéenne. Il est intéressant de noter que mes meilleurs souvenirs proviennent de mes tournois par équipe où je pouvais partager la gloire ou les difficultés avec mes coéquipiers. Je me souviens de mon premier tournoi par équipe où je représentais mon école primaire en 1986 et où on a terminé en première place. J’ai encore le trophée de cet événement organisé par Échecs et Maths! Lors de ce tournoi, j’ai gagné contre mon rival de toujours Philippe Nataf. Je me souviens également avoir gagné le Championnat Intercollégial pour le Collège Brébeuf en 1992 et d’avoir terminé en deuxième place lors du Championnat Pan-am par équipe lorsque je représentais l’Université McGill. Il s’est passé un incident cocasse lors de ce tournoi. Nous jouions contre NYU lors de la dernière ronde et ils avaient parmi leurs joueurs un GM et un MI. Un de nos échiquiers a perdu rapidement et nous n’avions qu’une position décente sur les trois autres échiquiers (je me faisais massacrer par le MI). Voyant que nous n’avions aucune chance de gagner, Nicolas Arsenault a accepté la nulle et quitta la salle avec Alaa-Eddine qui venait de perdre. Dans un incroyable revirement, George Katsenos et moi sommes sortis de nos positions perdantes pour remporter chacun notre partie, ce qui nous a donc permis de gagner le match. Je me souviens encore du visage de Nicolas lorsqu’il est revenu dans la salle de jeu et qu’on lui a dit qu’on terminait en deuxième place. 

Participant au Championnat Intercollegial en 1990.
 

Quelle est ta carrière aujourd’hui?

Marc: Je suis un médecin spécialisé en médecine interne, néphrologie et toxicologie clinique. Je traite des patients mais j’ai aussi un intérêt majeur pour la recherche. Ma recherche se concentre particulièrement sur l’utilisation de la dialyse dans le traitement de l’empoisonnement par la drogue, un sujet dans lequel j’ai beaucoup publié. 


Jouant aux échecs à Cuba, en 2015.

Joues-tu toujours aux échecs aujourd'hui?

Marc: À tous les jours, ou presque. Je joue des blitz, j’analyse et suis les parties de grands maîtres. J’aimerais compétitionner de nouveau pour obtenir le titre de MI, mais ce n’est pas facile de prendre deux semaines de congé pour concourir dans des conditions brutales quand on est déjà fatigué par son travail. J’espère faire un retour bientôt, je me croise les doigts!  

 

Quels conseils donnerais-tu aux enfants qui jouent aujourd’hui ainsi qu’à leurs parents?

Marc: J’encourage les parents à introduire la pratique du jeu d’échecs à leurs enfants même s’ils pensent qu’ils n’aimeront pas ça. Le jeu d’échecs attirent les enfants de tous les milieux : ceux qui sont inclinés par les sciences évidemment, mais aussi ceux qui ont des penchants artistiques, ceux qui ont un fort esprit de compétition, etc. C’est peu coûteux, cela développe le caractère et c’est un grand sport pour l’esprit. Ces enfants qui aiment jouer n’ont pas besoin d’être poussés, ils le feront d’eux-mêmes. Les parents ont juste besoin de les supporter et de leur fournir un bon environnement pour leur permettre de progresser, de concourir et d’avoir du plaisir. 

 

Ce blog a été écrit par Victoria Jung-Doknjas.  Vos commentaires sont bienvenus et encouragés.  Envoyer un courriel avec vos commentaires à:  CMAChessBlog@gmail.com with your comments.

Le sujet du blog de la semaine prochaine: « Comment choisir un bon entraîneur - par le maître international Tom O’Donnell »

 


À propos

L'Association Échecs et Maths (AEM) est un organisme sans but lucratif qui, avec ses coordonnateurs provinciaux, a pour but de promouvoir le jeu d'échecs en milieu scolaire au Canada.